dimanche 15 septembre 2013

Enseignement : une histoire de l'art "sans texte"

Les images sont plus que des objets de notre vision. Elles animent et provoquent, elles sont animées et provoquées. Par là, elles laissent derrière elles le champ du visible. Elles ne s'adressent pas seulement à la vue et à l'ouïe : elles agissent aussi. , Karl Sierek


"La peinture (contemporaine)", cours septembre 2013 :
cours réalisé à partir d'une conférence donnée pour le Centre d'Art Le Parvis (octobre 2011)







"Fantômes", cours février/mars 2013 :








"Espace/Perspectives/Contamination", cours février 2012, janvier 2013 :

lundi 1 juillet 2013

Constellation(s) de l'anachronisme



Toujours devant l'image, nous sommes devant le temps, Georges Didi-Huberman


Angela Bulloch, Night Sky, 2010


"Les historiens de l'art et de la littérature savent qu'il y a entre l'archaïque et le moderne un rendez-vous secret, non seulement parce que les formes les plus archaïques semblent exercer sur le présent une fascination particulière, mais surtout parce que la clé du moderne est cachée dans l'immémorial et le préhistorique."

"Être contemporain signifie en ce sens, revenir à un présent où nous n'avons jamais été."

"C'est comme si, cette invisible lumière qu'est l'obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d'ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment."
 Giorgio Agamben


Traces de mains au pochoir, Grotte del Castillo, Aurignacien et Gravettien




Notre époque s'apparente à une constellationNicolas Bourriaud


Cartographie du Web de la controverse de l'hypersensibilité aux ondes, établie par SciencesPo, Paris, 2013




"l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation", Walter Benjamin



En 1754, le naturaliste anglais John Hill publie quinze nouvelles constellations dans son dictionnaire d'astronomie (Urania - A Compleat View of Heavens). Hill les situe entre des espaces de constellations existantes et leur donne le nom de créatures disgracieuses. Parmi elles, on trouve Aranea. Comme les autres, elle appartient aujourd'hui à la catégorie des constellations obsolètes.


Grupo Aranea
archdaily.com 



  Former une constellation : Argo Navis 
 

Argo Navis était une énorme constellation, parmi celles décrites par Arastos, puis par Ptolémée (Almageste). Elle représentait l'Argo -  le navire utilisé par Jason et les Argonautes.
À cause de sa taille (1884 degrés carrés), l'astronome Nicolas-Louis de Lacaille la divisa dans les années 1750 en trois constellations plus petites (la Crène; la Poupe; les Voiles).





Former une constellation de l'anachronisme : l'Atlas Mnémosyne d'Aby Warburg

Aby Warburg à Rome (au centre), avec ses collaborateurs Gertrud Bing et Fritz Saxl
À l'arrière plan (à droite) : une planche expérimentale du projet de l'Altas Mnémosyne

 "(...) ne pas perdre de vue la spécificité de la science warburgienne de l'art et de la culture, dans le vaste horizon ouvert par la reproduction technique et la production numérique des images", Karl Sierek
 

Planche  de l'Atlas Mnémosyne (La Naissance de Vénus de Domenico Ghirlandaio, v. 1485), 1927

"Warburg met au point une véritable méthodologie du film en histoire de l'art pour peu que l'on entende par film non pas le dispositif technique conventionnel de l'enregistrement et de la projection, mais un ensemble de propriétés et d'opérations dont le cinéma n'aura constitué que l'application matérielle et la configuration spectaculaire", Philippe-Alain Michaud


Former des Histoire(s) du cinéma : Jean-Luc Godard

Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, photogramme, 1998

Cherchant "à rapprocher les choses qui ne sont pas disposées à l'être", Jean-Luc Godard décrit son projet comme "une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d'explication".


Montage/démontage/remontage : 
une histoire de l'art, entre l'archive et le performatif,
à l'ère du réseau


Alighiero Boetti, Il muro, 1973-1994

"En 1973, Alighiero  Boetti commença d’accrocher, sur un mur de son appartement romain du Trastevere, des images, des dessins d’amis, des photographies, des pages de calendrier  et des objets trouvés. Au fil des années, ce work in progress domestique constitua Il Muro  (Le Mur), une sorte de constellation poétique personnelle. Une métaphore d’un parcours  humain, le lieu intime d’une réflexion sur le monde."
http://www.mamco.ch/expositions/encours/Boetti.html




"La photographie de l'être disparu vient me toucher comme les rayons différés d'une étoile", Roland Barthes



L'imaginaire structure et coordonne les images de pensée, rompant avec le continuum de l'histoire.


dimanche 2 juin 2013

Catalogue "La conquête de l'air", musée des Abattoirs (Toulouse)

Catalogue de l'exposition "La conquête de l'air"

  • Broché : 250 pages
  • Editeur : Cinq Continents et Les Abattoirs (1 novembre 2002)
  • Collection : Art Contemporain
  • Langue : Français




"Cette manifestation se propose d'aborder en quoi les conquêtes de l'air et de l'espace ont orienté et affecté les formes de représentation et d'usage de l'espace plastique au XXème siècle." https://www.cnap.fr/la-conquete-de-lair-une-aventure-dans-lart-du-xxeme-siecle

Avec les œuvres de Richard Baquié, Chris Burden, Alexandre Calder, Tony Cragg, Lucio Fontana,Francisco de Goya, Yves Klein, Kasimir Malevitch, Henri Matisse, Panamarenko ...

12 novembre 2002 ➜ 2 février 2003

vendredi 10 mai 2013

Conférence "Marina Abramovic, The Artist is Present"

Centre d'Art Contemporain Le Parvis-Ibos
Le 22 mai 2013 à 18h00

Pour la dernière conférence de la saison, Chrystelle Desbordes nous propose un "corps à corps" avec Marina Abramovic, une légende vivante pour les amateurs de performances artistiques. Son art, imprégné de ses expériences personnelles, a une très grande résonance sur les pratiques artistiques actuelles, comme on a pu le mesurer lors de sa rétrospective au Museum of Modern Art de New York au printemps 2010.



 Marina Abramovic, The artist is present,  2010 © Marina Abramovic





mercredi 1 mai 2013

Doctorat d'histoire de l'art : "La notion d'éphémère dans l'art contemporain des années 1960-1970"

Résumé de la thèse :

" La notion d’éphémère dans l’art occidental des années 1960-1970 : Approches phénoménologiques d’un « concept » artistique "

711 pages (3 volumes) ; volume texte : 428 pages


œuvre de couverture du volume texte : Marcel Broodthaers, 5 ardoises magiques, 1973

Si certaines des premières avant-gardes préconisent d’introduire l’éphémère dans la création occidentale, c’est véritablement au cours des années 1960-1970 que des artistes vont rendre cette notion tangible au sein de l’œuvre d’art. Depuis, les historiens et les critiques s’en font l’écho, sans qu’il n’y ait eu de véritable synthèse sur le sujet.
Loin d’être homogène dans ses modes de manifestation (entre immanence et transcendance), l’éphémère appartient au vocabulaire de l’Art Cinétique, du Nouveau Réalisme, du Happening et de la Performance, de Fluxus, du Land Art, de l’Art Conceptuel, de l'Arte Povera, du Process Art... mais aussi se trouve problématisé au cœur de pratiques s'inscrivant difficilement dans ces tendances (par exemple, celles de Klein ou de Beuys). En se basant sur l’analyse d’œuvres historiques, la thèse fait un premier « état des lieux » d’une question d’histoire de l’art et d’esthétique sans doute essentielle pour la compréhension des enjeux de l’art contemporain.

La méthode est fondée sur une lecture de l’éphémère au sein de trois paradigmes fondamentaux de l'art des années 1960-1970 : l’œuvre dans la vie ; l’œuvre processuelle ; reproductibilité et irreproductibilité de l’œuvre. Cette progression forme une dialectique dessinant de nouveaux échanges entre la forme et le matériau, la représentation et la présence, le visible et l'invisible, la disparition et l'enregistrement ou l'itération de l'objet d'art. Suivant cette progression, le « concept artistique » d’éphémère se fait jour entre une stricte éphémérité et une éphémérité reproductible de l’œuvre, et apparaît à la fois comme un symptôme et, à son tour, comme un paradigme de  la  création  contemporaine  (qui  semble  l'avoir  totalement  intégrée  depuis  ces  années  « libertaires »  voire « révolutionnaires » - à la fois pour l'art et pour la société). En modifiant profondément notre relation esthétique, l'éphémérité participe à la redéfinition (ou à la « dé-définition ») de l’œuvre imposée par les « tabula rasa » successives de l'art du vingtième siècle. Moins qu'une histoire ou une tentative d'historicisation de l’art éphémère, ce travail propose, d'une part, une typologie des différents modes de manifestation ou approches phénoménologiques de l’éphémère dans l’art de la seconde moitié du XXe siècle et, d'autre part, en analyse ses enjeux esthétiques et, diversement, politiques.

Composition du Jury de soutenance (12/12/2005) : Luce Barlangue (Professeur d’Histoire de l’Art, Département d’Histoire de l’Art et Archéologie, Université de Toulouse II), Denys Riout (Professeur d’Histoire de l’Art, Département Arts Plastiques, Université de Paris IV), Thierry Dufrêne (Professeur d’Histoire de l’Art, Département Histoire de l’Art et d’Archéologie, Université de Paris X), Ami Barak (Directeur Département Art de la Mairie de Paris).

mercredi 10 avril 2013

Conférence : "De l'Atlas Mnémosyne au blog territoires-écran - une histoire de l'art entre l'archive et le performatif"

Conférence donnée dans le cadre des journées d'étude "Cartographies de l’invisible. Art, réseau, big data"

19 avril 2013 à la BnF Paris

Journées d'étude organisées par Christophe Bruno (artiste) et Marie Saladin (BnF) 


"Faisant fi de la chronologie, revisitant, à l'aune des pratiques de l'image sur le réseau, l'entreprise warburgienne  que fut l'Atlas Mnémosyne, territoires-ecran (blog réalisée par Chrystelle Desbordes avec ses étudiants des Beaux-Arts), construit une histoire de l’art en constellation (d'atlas), offrant, dans la lignée des travaux du grand érudit allemand, de nouvelles perspectives épistémologiques pour la discipline. De l'Atlas de Warburg à ce blog de recherches, il s'agit de présenter la construction d'une histoire de l'art peu orthodoxe mais qui se renouvelle, à près d'un siècle de distance. Au cœur des deux méthodologies, la relation dialectique qui se tisse entre l'archive et le performatif devient particulièrement manifeste et interroge les liens qui peuvent se tisser aujourd'hui entre l'histoire de l'art et la pratique artistique.", C. Desbordes



"After Impression soleil Levant (Google Images)", capture d'écran 14/04/2013

"Comment naviguer dans les paysages de données ?"...

dimanche 17 mars 2013

Menace de censure au Jeu de Paume - exposition d'Ahlam Shibli

"Une institution artistique qui s'engage auprès d'un/e artiste ne peut mettre de guillemets autour de son discours. Incriminer un artiste de manque d'objectivité est de la plus grande ironie de la part d'organisations politiques et religieuses.", François Piron

Après les oeuvres de Mounir Fatmi, par deux fois censurées fin 2012 (à Toulouse puis à Paris) sous les menaces réelles ou imaginées de quelques personnes, c'est maintenant l'exposition d'Ahlam Shibli qui risque de fermer (au moins en partie), sous la pression d'individus ou de groupes qui accusent la photographe de faire l'apologie du terrorisme... Le regard censeur, partisan, bien que biaisé, a engagé l'artiste à répondre à ses accusations... La photographe a notamment expliqué que sa position était bien plus "psychanalytique" que "politique".

"Ses images sont ancrées dans l'actualité, non dans l'urgence d'un témoignage, mais dans la nécessité de réinventer une distance critique avec la transformation profonde du regard subjectif".
http://actuphoto.com/24730-ahlam-shibli-expose-laquo-nbsp-phantom-home-raquo-au-jeu-de-paume.html 



 Ahlam Shibli, Untitled (Death n°4), Palestine, 2011/2012
38 x 57 cm

Son message n'a visiblement pas été entendu.
Sa série "Phantom Home" (Foyer Fantôme) est plus particulièrement visée par ces détracteurs qui refusent le débat et, pour certains, qui sont allés, ces derniers jours, jusqu'à menacer le personnel de l'institution.
Une fois de plus, la question de la liberté d'expression est, à l'évidence, posée et, dans son sillage, d'autres encore, non moins urgentes dans le sens où il s'agirait d'y réfléchir très sérieusement au sein d'une démocratie...
- Une méconnaissance de l'art doit-elle l'emporter sur les choix de l'artiste ?
- Le travail des professionnels de l'art (ici celui de Marta Gili qui dirige le Jeu de Paume depuis 2006) peut-il être légitimement remis en cause (aussi violemment) par des personnes qui ne sont pas à même d'en mesurer la qualité ?
- L'éducation du regard et des "langages de l'art" ne doit-elle pas être une priorité dans les programmes de l'éducation nationale, dès le plus jeune âge, avec un personnel enseignant réellement formé aux enjeux artistiques (plus encore à l'ère d'une culture de l'image en réseau mondialisé) ?

"L'image est un langage qui révèle le monde", Marta Gili

Pétition de soutien à Marta Gili :
http://www.change.org/petitions/support-marta-gili-director-of-jeu-de-paume?share_id=JPXFwDDKoS&utm_campaign=signature_receipt&utm_medium=email&utm_source=share_petition

Rappel...
Une nouvelle œuvre de Mounir Fatmi censurée 
par Laura Heurteloup • 11 octobre 2012

"Après le Printemps de Septembre à Toulouse, l’Institut du monde arabe décide, lui aussi, de retirer une œuvre de l’artiste Mounir Fatmi.
Une semaine après la suppression de Technologia au Printemps de Septembre de Toulouse, le plasticien marocain Mounir Fatmi est de nouveau victime de censure. Dans le cadre de l'exposition, Vingt-cinq ans de créativité arabe, qui ouvrira ses portes le mardi 16 octobre prochain, l'IMA a décidé de retirer l'installation vidéo intitulée Sleep, jugée trop sensible au regard du contexte actuel.

Directement inspirée du film expérimental pop du même nom, réalisé par Andy Warhol en 1963, cette création met en scène l'écrivain britannique Salman Rushdie en plein sommeil. Ce dispositif, possible grâce à la technologie de l'imagerie numérique en 3D, rend hommage à l'auteur du roman Les Versets sataniques écrit en 1988.
Cette parution, qui avait provoquée la colère de groupes islamiques, oblige Salman Rushdie à vivre dans la clandestinité. Choqué par cette affaire, Mounir Fatmi a confié au Figaro.fr : « Compte tenu des menaces qui pèsent sur sa vie depuis tant d'années, plonger dans le sommeil reste une manière pour lui de se mettre en état de vulnérabilité. Ce sont des images de synthèse à partir de photos. J'ai été scandalisé par le silence des intellectuels arabes sur le sort de Rushdie et son combat pour la liberté de créer. Alors j'ai imaginé ce film comme un hommage ».
Comble de l'ironie, Sleep, qui est actuellement présenté au BPS22 de Charleroi dans le cadre de l'exposition Intranquillités, sera remplacée par Technologia, l'œuvre retirée du Festival d'art contemporain de Toulouse, la semaine dernière, pour son caractère soi-disant blasphématoire."

Format curatorial : « Il faut être deux pour une image » (partout)

Statement

Ce format curatorial, qui a la forme d'une conférence-performance inscrit dans un dispositif spécifique,l a pour point de départ le dialogue avec un artiste autour de sa pratique. L'objet qui en naît est délibérément hybride : il brouille les cartes, les abat, les redistribue, s'ouvre à la rencontre d'un travail artistique spécifique en présence de l'artiste.

Fondé sur l'échange entre deux acteurs du monde de l'art, l'objet se construit grâce à une démarche heuristique – cet « art d'inventer, de faire des découvertes ». La forme qui est donnée, créée à partir de jeux d'analogie (entre des images, des mots, voire des objets), révèle peu à peu ce qui a du sens pour l’artiste.

Le format initie un objet curatorial d’un genre nouveau : un espace dans lequel le temps de l'échange expose l'oeuvre en dehors du white cube mais au sein d'une institution artistique. 


Le format répond à un certain nombre de règles performatives :


- L’objet résulte d’un travail d’écriture.
- L’objet s’inscrit dans une durée précise.
- L’objet se joue au sein d’un dispositif scénique particulier.
- L'objet relève d'un échange vécu en direct par le public, comme un spectacle ou une situation unique.
- L’objet est enregistré.


- La « conférence/performance » n’ouvre pas sur un débat avec le public.
- L’objet peut être réactivé et donner lieu à de nouvelles versions.




Le résultat de ce travail peut se résumer dans l’aphorisme de Jean-Luc Godard : « Il faut être deux pour une image ».

 Fayçal Baghriche, Feuille de salle (détail)


Conférence/performance 
Il faut être deux pour une image, avec Fayçal Baghriche
 

Les deux protagonistes ont élaboré ensemble un corpus d’images liées à l’histoire de la performance sur lequel « discuter », dans la mesure où la micro-action est au cœur de la pratique artistique de Fayçal Baghriche.
"Pour moi, nous dit l'artiste, l'histoire de la performance, c'est ça : des gens qui font des trucs bizarres dans des images en noir et blanc". Pour sa part, Chrystelle Desbordes pose Diogène comme le père de la performance...
L’artiste et le critique sont ici inscrits dans un dispositif où les corps s’absentent, ne se manifestant plus qu’à travers l’oralité. Ce choix est lié à l'importance de l'invisibilité à la fois dans le travail de Fayçal Baghriche et dans les recherches en histoire de l'art de Chrystelle Desbordes. Cette proposition se révèle être, in fine, un format d’exposition du travail de Fayçal Baghriche.

Centre d’art contemporain de Sète, 7 avril 2011
École supérieure d’art des Pyrénées (site de Tarbes), dans le cadre de l'évènement "Screen a light", 27 mai 2011


Babeth Rambault et Christophe Bruno ont également présenté leurs travaux respectifs dans le cadre de "Il faut être deux pour une image".

Le format sera bientôt réactivé avec d'autres artistes invités (hiver 2020/2021)

dimanche 10 février 2013

Entretien avec Anne Jallais

Article "Du geste de peindre aux franges du visible" pour Papiers Libres,  printemps 2006

                           Laitage, 2000, acrylique sur toile 162 x 130 cm - © Anne Jallais

CD : Tu cites Brice Marden : « Le dessin c’est la grâce, la peinture c’est la force ». Qu’est-ce qui t’intéresse plus précisément dans son travail ?

AJ : Marden, en effet, m’épate beaucoup, avec peu d’artifice, car sa peinture équivaut au déroulement d’un fil, d’un écheveau ininterrompu, d’un geste continu et rythmé, presque musical. J’y vois une empreinte corporelle, et c’est ce qui me fascine aussi chez Pollock : le trait-tâche, cette fois discontinu, s’accumule, à un autre rythme et sans illusion de profondeur mais propose une expérience physique aussi visible qu’informelle. J’y vois un lien avec mon travail, dans le fil qui se boucle et s’enroule par un geste continu, dans un espace discontinu, et où dessin et peinture seraient indissociables.

CD : Dans « des rencontres », je vois en fait beaucoup de choses; je pense spontanément aux Otages de Fautrier (passage fond/forme – la matière « en moins »), à certains Sam Francis à cause de la fluidité (la série des Blue Balls qui serait ici comme « passées derrière »), ou encore, à Rothko.

AJ : Fautrier ne m’est pas familier, quant à Sam Francis et Rothko, c’est la fraîcheur que je retiendrais chez Francis, la transparence de ses « jus », et certains aspects « teinture » plus que « peinture » chez Rothko – la diffusion, comme en suspension.

CD : Tu parles de « toiles à matelas », ce qui, du coup, rappelle Support/Surface…

AJ : Oui je m’y suis intéressée, notamment pour les manipulations de tressage, nouage, pliage, «effilochages », bref tout ce qui parlait armure, trame et autonomie du tissu (l’art textile était le sujet de ma maîtrise d’Histoire de l’Art). La réactivité de la toile m’est nécessaire et j’aime qu’elle soit tendue : résistante au geste, vivante. Et pour une raison pratique, j’alterne ainsi plus facilement l’action frontale et le déplacement au sol.

CD : En même temps, je vois dans cet indéterminé quasi magique des moyens de la peinture des déchirures qui affleurent le secret de la vie, entre « silence rythmé » par les couleurs fluidifiées, effacement latent des « choses », souffle vitaliste et souffrance charnelle – elle aussi latente…

AJ : « Souffrance charnelle » : je pense immédiatement à De Kooning que j’ai tellement admiré et regardé inlassablement quand je commençais à peindre…

CD : Ces réflexions me donnent envie de te demander ce que représente pour toi le repentir en peinture ? Comment le définirais-tu au sein de ta démarche ?

AJ : J’ai toujours pratiqué de front la peinture « immédiate » d’un côté et, d’un autre, le recouvrement par transparence, avec une onctuosité et une « graisse » toute relative. Ce film « laiteux » est écarté dans la série « des rencontres » concentrée sur l’eau, le fluide, davantage que sur la graisse. Je pense que le repentir s’utilise comme un trampoline, en rebonds, exactement comme la liquidité permet au trait vertical de se démultiplier, d’en créer d’autres, inattendus : le repentir devient un outil jubilatoire de connaissance dans la mesure où effacer permettrait d’affirmer, recouvrir permettrait de découvrir, masquer en partie et superposer les formes comme on construirait un discours, de façon empirique.

     Ice, 2005 série "des rencontres", acrylique sur toile 150 x 150 cm - © Anne Jallais


CD : Te semble –t-il possible de parler d’une « peinture féminine » ?

AJ : Je trouve drôle que tu me parles de secret de la vie et ensuite de peinture féminine. Oui, non, je ne sais pas,… Une peinture féminine serait, par définition, différente d’une peinture masculine ? Je suis allée cet été à Londres et à l’exposition de Rebecca Horn (Hayward gallery), j’ai pu voir une série de dessins des années 1988 à 2004; mais aussi, dans le catalogue feuilleté plus tard, quelques dessins de 1965-1968 – des figures féminines à corsets. La thématique m’est particulièrement familière car le corps et son enveloppe font clairement partie de mes préoccupations mais, ce qui m’a aussi frappée, c’est la facture, l’aspect très proche des études de De Kooning… Je m’éloigne un peu de la question mais j’aurais envie d’y réfléchir davantage.

CD : Que signifie pour toi le critère d’originalité pour la création en général et la peinture en particulier ?

AJ : La nouveauté, à travers un critère de ruse, d’astuce, de beau, de laid, de fort, d’impossible… ?L’originalité serait ce qui m’apparaît évident dans son « incompréhensibilité »,… une sorte d’intrus devenant nécessaire, indispensable.

CD : Dans cette série, il me semble que tu « tiens » quelque chose qui était en germe dans tes peintures antérieures, tu as trouvé ce que tu cherchais : une relation à la fois intime et cultivée du peintre avec son moyen d’expression, au-delà des polémiques abstraction/figuration et des bruits anti-formalistes d’un certain art contemporain. Que penses-tu d’ailleurs de ce mythe du « retour à la peinture » dans l’actualité ?Et quels sont les « jeunes » peintres qui, aujourd’hui, t’intéressent ?

AJ : Il y a eu « la mort de l’art » avant l’annonce d’une mort de le peinture. Je n’aime pas beaucoup l’expression « retour à » comme un cycle fatal qui finirait (ou qui re-commencerait ?). Le regard sur la peinture – sortie du purgatoire – change peut-être. Concernant de jeunes peintres, je pense aux propositions de la Saatchi Gallery par exemple ; mais aussi à de moins jeunes comme Artschwager : j’aime l’incroyable effet de son économie d’effets (!), notamment dans les travaux présentés au domaine de Kerguéhennec en 2003.

CD : J’aime ta façon de résoudre les questions posées au peintre car il me semble que tu es dans l’essentiel, qu’existe dans ton travail ce fil sibyllin qui relie l’artiste au monde, même si ta peinture n’est pas politique.

AJ : Déployer une disponibilité à l’acte me paraît, en effet, une attitude plus philosophique que politique…

CD : L’on pourrait songer à Merleau-Ponty affirmant : « Le peintre, quel qu’il soit, pendant qu’il peint, pratique une théorie magique de la vision »…

AJ : Je parlerais alors d’image « révélée » au sens photographique du mot, une image saisie, instantanée, par la rencontre immédiate d’un avant et d’un après… Une expérience du furtif…

     Entre nous, acrylique sur toile 2000, 150 x 150 cm - © Anne Jallais


jeudi 7 février 2013

Trac - Tiroir régional d'art contemporain (Montpellier)

TRAC, Tiroir Régional d'Art Contemporain (Galerie du FRAC Languedoc-Roussillon, Montpellier) 

octobre 1998-juin 2002


L'automne pointait son nez, je me souviens bien de ce soir-là, chez Marie-Pierre à Montpellier. Nous prenions un verre de Bourgogne aligoté avec les artistes Siegfried Ceballos et Philippe Jaminet. Nous échangions sur l'art et la vie, la vie et l'art. À un moment, nous avons parlé des conférences "Les Mercredis de l'art contemporain" que je donnais une fois par mois, depuis près d'un an, à la galerie du Frac Languedoc-Roussillon. Il s'agissait d'un format simple et, au fond, assez excitant : sortir les œuvres des réserves et en discuter directement avec le public, après en avoir fait la présentation. Marie-Pierre, quant à elle, travaillait aussi avec le Frac à l'époque. Derrière le comptoir de l'entrée, elle recevait le public, puis le guidait dans les expositions. De fil en aiguille, on s'est dit que ce serait "drôle" et "chouette" de "faire rentrer" des oeuvres dans le tiroir du comptoir (qui n'avait aucune qualité en tant que meuble). Grâce à nos échanges, il endossa vite le "super-pouvoir" de devenir un espace d'exposition au sein du Frac pour des artistes vivants. On le visualisa alors, comme s'il était déjà un lieuC'était bien sûr un hommage à Robert Filliou, à l'état d'esprit Fluxus, et un "off" dans le "in". Nous avons imaginé que "l'idéal" serait que les vernissages se déroulent après mes conférences. Dès le lendemain, Marie-Pierre et moi sommes allés voir le directeur de l'institution, Ami Barak, pour lui en parler. Il nous a donné immédiatement "carte blanche" avec, normal, un "droit de regard". Il accepta tous les projets. Siegfried, puis Philippe, furent, bien entendu, les premiers à exposer au Trac. Les artistes que nous invitions avaient "simplement" pour contrainte de loger un projet spécifique dans le tiroir, même s'il était possible d'en transcender les limites, les œuvres devaient garder au moins un point de contact avec lui. J'écrivais un texte sur chaque production, à disposition du public. Au début, nous nous sommes débrouillées avec les moyens du bord, et la gracieuse collaboration du régisseur du Frac, puis nous avons eu des aides de la Drac. L'aventure dura près de 4 ans, une quinzaine d'oeuvres furent produites dans le cadre du Trac, signées notamment par : Siegfried Ceballos, Philippe Jaminet, Caroline Carolitis, Ludovic Pré, Lydie Jean-Dit-Pannel, Frédéric Khodja, Luc Bouzat, Ghazel...

Le Trac rencontra un succès certain. Le journaliste Arnaud Laporte m'invita d'ailleurs à en à parler sur France Culture, c'était lors de l'hiver 2001/2002, il faisait chaud dans le studio de Radio France, j'avais une sacrée crève. Quelques mois plus tard, à cause de difficultés politiques rencontrées par le Frac, nous avons arrêté le projet, non sans avoir réalisé une dernière exposition - un "acte politique" - en soutien à Ami Barak.



Photo ci-après : Marie-Pierre Donadio déroule l'œuvre de Frédéric Khodja, Nulle dies sine linea, Trac - Galerie du Frac L/ R. , 27 avril 2000



Texte ci-après
: à propos de l'œuvre de Frédéric Khodja au Trac, publié dans la revue Papiers Libres, printemps 2000