mercredi 15 avril 2015

Jim Fauvet : « ANACHRONIMsE – vacances de formes »

Cela faisait déjà 5 ans que je connaissais Jim, que nous travaillions dans la même équipe d'enseignants aux Beaux-Arts, déjà 5 ans que j'avais envie d'écrire sur son travail. Lorsque j'ai vu son exposition à la chapelle Saint-Jacques, je n'ai pas caché mon enthousiasme. Jim a publié le texte sur son site.



La chose, pierre (hauteur : 240 cm) © Jim Fauvet



Article "Dark Vador au Jardin des délices"

Temps superbe. Nous longeons la chaîne des Pyrénées aux flancs enneigés jusqu'à Saint-Gaudens. Tandis que le ciel azur domine à l'extérieur, il y a peu de lumière naturelle dans la chapelle. Dès le seuil, on ressent la jubilation d'une pratique « touche à tout », la générosité d'un travail qui produit des objets traversant de nombreux médiums et récits, formant ici un nouveau Jardin des délices - fantasmatique, drôle, monstrueux, léger, à la fois


Les objets se nouent en étreintes, les images se chevauchent, les pratiques s'hybrident, glissent, tissent, explosent. On voit le plaisir de l'artiste à triturer les formes et les références, à ramasser les standards de l'art officiel pour les recomposer en dérives, à compacter et à dilater les temps, à rire des accidents qui se produisent dans les rencontres fortuites, à dessiner des paysages aux marges du paysage - un simple décorum dans lequel l'art se jouerait avec tendresse de la comédie humaine. Un art qui mixe les époques et les styles, déjoue les utopies progressistes et les stratégies du monde de l'art - bonds et rebonds : du grand mégalithe blanc (Futur Antérieur 1) rappelant l'âge du Néolithique tout comme le monolithe de 2001 L'Odyssée de l'Espace, jusqu'au revival de la sculpture monumentale en pierre, créée à partir d'une figurine en plastique un peu mal foutue (La chose), en passant par une reproduction « Painted in China » de la « Joconde du Prado », la première copie connue de l'inénarrable Mona Lisa. Une histoire de l'art version Alice aux Pays des Merveilles Rock'n'Roll avec, dans les rôles principaux : Duchamp, Bosch, Russ Meyer, la femme ou l'homme qui a dessiné un « Megacéros » sur les panneaux pariétaux et routiers, Alphonse Allais, Filliou, Star Wars, Fauguet, Niki de Saint-Phalle, Donatello...

Jubilatoire, La reproduction, une sculpture qui perturbe le double et son échelle, qui s'amuse de la mauvaise copie (pas plus mauvaise, en fait, que ses modèles : le Balloon Dog de Koons et Le Rhinocéros de Xavier Veilhan...), qui rigole de l'accouplement improbable entre deux animaux de différentes natures mais façonnés avec la même chair (de la pâte à modeler de toutes les couleurs).
Euphorisante, la petite pharmacopée nommée Invador objects'attack qui, à l'égal du Merzbau de Schwitters ou de La topographie anecdotée du hasard de Spoerri, nous invite à des rencontres avec des objets a priori sans qualité, des objets à la fois déclassés et ré-introduits, qui racontent des récits de contortionniste à la Houdini ou à la mode de la sculpture romane écrasant une tête de Joseph sous le joug du chapiteau souverain. La vie des formes n'est pas linéaire, comme le rappelle le titre de l'exposition - « ANACHRONIMsE – vacances de formes ».




La chose en est à mes yeux le « clou ». Une oeuvre hallucinante, en fait... Une sculpture en pierre de 2 mètres 40 représentant un chasseur-soldat improbable, armé d'un fusil dont la terminaison prend les traits arrondis du chapeau d'un phallus. Le projet, en soi, est assez fou, un pari... réussi. Contre vents et marées, ce personnage ridicule, qui singe l'idée de victoire en s'incarnant dans la grande tradition de la statuaire, devient un étrange monument, mais un monument quand même. Un excitant va-et-vient aussi, entre le low and high. La polychromie matérielle, faite de pierres de différentes couleurs (avec pour base la fameuse pierre de Saint-Béat ayant servi à la Colonne Trajan 2), et le corps difforme (mais équilibré) donnent également à cette histoire des accents de cartoon.
Ce personnage, hybride et provocant, bizarre et absurde, semble alors opérer comme une balise dans le parcours, tel un guide immobile, mi-homme mi extra-terrestre, issu du passé et de l'avenir - un néo Dark Vador, un peu en retrait, qui scruterait du bout de son fusil les amours ancillaires qui se tricotent au coeur de ce Jardin des délices, au coeur de cet éden, rare, où les écarts composent de jouissives vacances de formes.

Paris, mars 2015

Exposition Jim Fauvet à  la Chapelle Saint-Jacques, Du 28 février au 2 mai 2015


1 Les œuvres ont été produites dans le cadre de l'exposition (2015).
2 Cette œuvre a été produite par le Centre International de Recherche de la Pierre, des Arts et de la Culture (CORPAC) à Saint-Béat (31), dans le cadre d'une résidence artistique.