mercredi 30 novembre 2016

Exposition "The Purple State", soir des élections américaines dans l'État de New York

Le vernissage le plus triste auquel il m'a été donné d'assister (pourtant j'en ai fait !). Vers 21h, c'était "cuit" d'après la majeure partie des gens qui étaient là, une poignée gardait encore un peu d'espoir car les bulletins des États "Purple State" n'avaient pas été encore dépouillés. Des personnes pleuraient. L'exposition "The Purple State" (curatée par Franck Bauchard au Art Centre de l'Université), au titre évocateur, présentait le travail politique de 5 artistes en lien avec l'actualité du moment. Parmi eux, le soir du vernissage, les Yes Men tentaient d'infiltrer le QG de Trump à New York ; l'un des deux artistes du duo s'était fait viré. Ils avaient misé sur la défaite de Trump... Du coup, celui que l'on voyait depuis Skype dans le QG était un peu perdu au milieu des supporters républicains. En rentrant, la logeuse chez qui nous dormions, une démocrate convaincue, était déboussolée et a ouvert une bouteille de bon Bordeaux. Elle m'a dit que la semaine précédente, Noam Chmosky avait dormi dans le lit que j'allais occuper. Le lendemain, je suis allée visiter l'Albright Knox Gallery - une pure merveille où j'ai découvert au passage le travail d'une artiste pionnière du Pop Art américain, Rosalyn Dexler. Elle allait souffler ses 90 bougies, était enfin reconnue ... Comme quoi : il ne faut jamais désespérer ! De retour à Paris, le 11 novembre, j'ai écrit un article pour "Mouvement" afin de raconter cette expérience artistique, et politique.


Article "D-Day en Purple State", mouvement.net   

Buffalo, dotée d'une population étudiante cosmopolite et d’une grande richesse culturelle, offre, en ce jour d’élection, comme une atmosphère plutôt démocrate... Prise de température et pérégrinations, de campus en centre d'art, à quelques heures du résultat dans la « ville la plus amicale » des États-Unis.

Centre d'art de Buffalo University, "The Purple State", 8 novembre 2016


1285, Elmwood Ave, 13h05
Janet, 68 ans, activiste féministe et militante dès les premières heures à San Francisco puis à New York, sociologue vivant depuis 25 ans à Buffalo, est loin de se douter de l'issue des élections, la nuit prochaine, lorsqu'elle pousse la porte de l'Albright Knox Gallery au 1285 d'Elmwood Avenue. Dans l'État de New York, impossible de concevoir ou même d'apercevoir une issue Trump. Pour autant, très difficile aussi de parler de ces élections grand-guignolesques, n'ayant jamais atteint un tel niveau de médiocrité dans les « débats » médiatisés, discréditant tour à tour les deux candidats dans un ramassis de coups bas et de vulgarité, largement relayés sur le social network.

Au cœur du musée à la superbe collection d'art moderne, Janet découvre l'exposition monographique de l'artiste féministe pionnière Rosalyn Drexler. Un choc. La série Pop « Men and Machines », comme celle, plus récente, des « Vulgar Lives » – des peintures réalisées à partir des images médiatisées du phallocratisme – viendront résonner d'une étrange manière, dans la soirée, et surtout dans la nuit lorsque les résultats en faveur des républicains se confirmeront. « Après Obama, je me rends compte finalement, confie alors Janet, que beaucoup d'Américains ne pouvaient envisager de voir une femme Présidente des États-Unis. Deux fois un noir, puis une femme... Non, ce n'est pas sérieux... ! Pour ces Américains, pour les grands électeurs, c'est “enfin” le retour au pouvoir de l'homme blanc... Mais je vois aussi qu'il y a une grande détresse dans les classes populaires. La crise globale actuelle conduit à des positions de repli identitaire, fait le lit à un ultra-conservatisme très dur ; elle concentre des peurs qui portent une certaine violence inscrite dans l'histoire des Américains. »

En direction de South Campus, University at Buffalo, 18h00
Jim, petite trentaine, critique culinaire pour l'hebdo culturel de Buffalo, fan de Samuel Beckett, conduit Suzy, une Française de 32 ans inscrite en PhD de littérature américaine, jusqu’au bus bleu de South Campus UB. Il s'inquiète un peu des élections et parle de ce qui s'est passé en France en 2002. « À l'époque, je me suis moqué de ces résultats, persuadé de vivre dans un pays bien plus démocrate que le ''pays des droits de l'homme'' ! Aujourd'hui, je ne pense pas que Trump l'emporte, mais je ne suis pas rassuré. À mes yeux, le ''théâtre de l'absurde'' n'a jamais eu tant d'échos dans le réel que depuis le début de cette campagne ! » Suzy, qui vit ici depuis deux ans, ne croit pas non plus que les républicains puissent gagner, mais elle repense à l'aveuglement massif des Français en 2002, aux sondages de l'époque, aux abstentionnistes, au brouillage des plus grands médias... « De toute façon, précise Jim, avec notre mode de scrutin, ce sont les Swing States qui feront la différence à la fin. Mais après deux mandats Obama, Clinton, une femme détestée dans l'opinion, ne sera pas facilement élue... ». Pour beaucoup, le choix est cornélien même si « Hillary » aura acquis, au bout du compte, le vote populaire (qui l'aurait bien entendu investie au suffrage universel direct).

 
« The Purple State », Center For The Arts, North Campus, University at Buffalo College of Arts and Sciences, 20h00
Mélange du bleu démocrate et du rouge républicain, « The Purple State » (« l'État pourpre ») symbolise le mouvement indécis des « Swing States » (la Floride et l'Ohio depuis 2004, mais également, pour cette fois, le Wisconsin et la Pennsylvanie), des états qui basculent, à chaque élection, dans l'un ou l'autre camp, habités par ces électeurs « indéterminés », sur lesquels les candidats investissent le plus d'argent pour leur campagne (Trump aura été le candidat le moins dispendieux de tous, misant largement sur l'impact et le relai de ses petites déclarations à scandales dans les médias, notamment au sein des réseaux sociaux).

Orchestrée par Franck Bauchard (ancien directeur artistique de la Panacée à Montpellier), directeur du programme « Arts Management » et du « Technē Institute for Art and Emerging Technologies » de The University at Buffalo College of Arts and Sciences, l'exposition porte donc un titre de circonstance et... donne le ton. Les artistes invités y interrogent, via Internet, l'hyper-médiatisation du politique et ses enjeux esthétiques. « The Purple State sonde ainsi la condition indéterminée d'une démocratie, quand les comportements des électeurs deviennent algorithmiques. »


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