mercredi 25 décembre 2019

Jorge Furtado, "L'île aux fleurs", 1989 (Brésil)/ Raphaël, "Portrait de Léon X", 1518-1519 (Rome)

Jorge Furtado, Ilha das Flores ("L'île aux fleurs"), 1989 - Brésil
12 mn 31
Société de production : Nora Goulart et Monica Schmiedt


"Ceci n'est pas un film de fiction", Jorge Furtado 
 Il est à noter que, sur Wikipedia, le film est catégorisé dans le genre, pour le moins curieux, de "faux documentaire"...

    Dans ce court film, le Brésilien Jorge Furtado livre, avec humour et sur un rythme effréné, l'histoire économique de l'échange des biens et des marchandises entre les hommes (via la monnaie), en particulier depuis la Renaissance (le "monde moderne" en histoire), et jusqu'aux années 1980. Rapidement, les inégalités se dessinent entre les riches et les pauvres. "L'île aux fleurs", immense décharge contemporaine à ciel ouvert, en devient le symbole. Sur ce petit territoire situé au Brésil, dont le joli nom renvoie à une partie fleurie de l'île, les denrées rejetées par les classes moyennes et riches sont ramassées par les pauvres aux côtés des cochons. Parmi la riche iconographie qui crée des associations significatives de cette histoire tout au long du film, l'on aperçoit une peinture de commande réalisée par Raphaël entre 1518 et 1519...


Détail de L'île aux fleurs : Raphaël, Portrait de Léon X (avec les cardinaux Guilio de Medicis et Luigi de Rossi), 1518-1519
Huile sur bois, 154 x 119 cm
© Galerie des Offices, Florence

Dans ce tableau, le pape de la famille des Médicis (fils de "Laurent Le Magnifique") n'est pas à son avantage : le visage bouffi, il regarde dans le vague (avec son strabisme plus ou moins masqué par sa position de trois-quart profil). Les deux cardinaux qui l'entourent n'établissent aucune communication avec lui, incarnant, par leurs regards évasifs, les fortes tensions et autres trahisons qui sévissent alors au Vatican entre les membres du clergé. À l'époque, le pape inique et dispendieux, qui dilapide, depuis 1513, les caisses du Vatican (laissées en bon état par son prédécesseur Jules II), dans des fêtes fastueuses, met les fidèles sur la paille avec le "commerce des Indulgences" (déjà utilisé par Jules II), tandis que le luthéranisme gagne l'Europe.
L'élection de Jules II en 1513 avait eu pour but de consolider le pouvoir des Médicis (à l'origine des banquiers, bien plus que des hommes politiques), fragilisé à Florence quelques années auparavant (voir notamment Machiavel, et le contexte dans lequel il a rédigé Le Prince). "Mécène des arts", la famille utilisera également les artistes pour assoir sa puissance en Europe. 

L'insertion de cette image dans "L'île aux fleurs" est donc riche de sens, comme de résonances avec le monde contemporain. Par définition une "représentation", la peinture n'est pas, pour autant, une œuvre de fiction !

vendredi 5 juillet 2019

"Le vent se lève" à la Villa Médicis

Chaque année, la Villa Médicis Académie de France à Rome présente une exposition en lien avec les recherches de ses pensionnaires. Pour l'édition 2019, Evelyne Jouanno et Hou Hanru réunissent 16 artistes et chercheurs en résidence sous le titre Le vent se lève. Un intitulé qui pourrait être le début d'un conte, philosophique ou politique, au dénouement incertain.


François Hébert & Olivier Strauss, Réponses au brouillard, 2016
© Académie de France à Rome – Villa Médicis, Daniele Molajoli, 2019

mercredi 30 janvier 2019

Hommage à Ana Mendieta : Article & Atlas

L'exposition du Jeu de Paume était simplement magnifique. J'ai trouvé là comme une occasion rêvée d'écrire sur une artiste qui me semble être l'une des plus importantes de sa génération, une façon de lui rendre hommage après sa disparition tragique, à 37 ans.


     Ana Mendieta © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.


Article "Ana Mendieta"Mouvement.net 

En France, l'œuvre de la vidéaste et performeuse, pionnière de l'art féministe des années 1970-80, est peu représentée et peu connue. Le Jeu de Paume lui offre une première rétrospective au moment où la notion d'écoféminisme refait surface sur la scène médiatique.

                                   Ana Mendieta, Imágen de Yágul © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy                                               Galerie Lelong & Co.

Alors que les visiteurs se massent dans l'exposition de Dorothea Lange au rez-de-chaussée du Jeu de Paume, les salles consacrées à l'œuvre d'Ana Mendieta sont calmes. Organisé autour des quatre éléments et du sang sacrificiel, le parcours permet de découvrir un travail, à travers 20 films restaurés et une trentaine de photographies de ses performances, où se rencontrent l’intime et l’universel – ainsi que le suggère le titre de l’exposition, Le temps et l’histoire me recouvrent.

Entrer en osmose avec la nature
C’est en mêlant littéralement son corps à la nature que l'artiste trouve, au seuil des années 1970, son langage. « Je crois en l’eau, en l’air et en la terre. Ce sont toutes des divinités. Et elles parlent », confiera-t-elle. Rapidement, Mendieta atteint une telle fusion avec la Terre sacrée, que naît la plus fameuse de ses séries – « Las siluetas » (« Les silhouettes », 1973-1980). Leurs formes, sommaires, d’inspiration primitiviste, à la fois tangibles et flottantes, apparaissent dans quelques-uns des films présentés (ainsi que dans certaines des photographies). À l’époque, les « earth works » (« œuvres de la Terre », généralement créées à ciel ouvert dans des paysages désertiques peu accessibles au spectateur), deviennent une tendance importante de l’avant-garde américaine (avec, par exemple, Robert Smithson ou Nancy Holt), à l’égal du Body Art et de l’art féministe (songeons notamment à Judy Chicago). Or, comme Ana Mendieta le sous-entend elle-même en qualifiant son travail de « earth-body » (« le corps-Terre »), sa démarche est au carrefour de ces pratiques. Au cœur de la nature, en se livrant à un véritable corps à corps avec ses éléments, elle fait l’expérience d’une synergie sans précédent dans les arts visuels.


Atlas "Ana Mendieta", réalisé par des étudiants des Beaux-Arts de Toulouse (2014)

J'ai demandé à mes étudiants de première année de l'IsdaT-Département des Beaux-Arts de Toulouse de réaliser un "atlas" en lien avec une œuvre de la fin du XXe. siècle. Chaque atlas devait répondre à une méthodologie rigoureuse. Lorenne, Camille, Mayllis et Alice ont produit ce très bel atlas à partir de la série des "Silhouettes" de Mendieta. Il s'agissait d'aborder d'une autre manière le sempiternel "commentaire d'œuvre" et le travail en groupe, notamment à l'heure d'Internet appartenant pleinement à cette génération.

1- Ana Mendieta : Silhouettes

2- Traces de mains préhistoriques (Paléolithique supérieur, Gargas)

3- "La petite sirène" d'Andersen se transformant en écume de mer

4- Andy Goldsworthy : Rain shadows

5- Louise Bourgeois, Woman

6- Pline l'Ancien, : "Invention de la notion de silhouette"

7- Le Saint Suaire de Turin

8- Masque de "La Noyée de la Seine"

9- Antoni Gormley, Feeling Material, 2003-2008

10- ORLAN, MesuRAGEs, 1968-2012

11- Gérard Fromanger, Silhouettes

12- Yves Klein, Anthropométries de l'Époque Bleue, 1960

13- Andy Warhol, Electric chair, 1967

14- Karen Knor, The Pencil of Nature

15- Manequin de réanimation - moulage a partir de "La Noyée de la Seine"

16- Man Ray, Noire et Blanche, 1931

17- Octavio Campo, Absence of the marmeiad

18- Kristina Depaulis, Performance (sans titre)

19- David Altmedj, Son

20- Junji Ito, The enigma of Amigara fault

21- Kara Walker, The end of the uncle Tom and the grand allegorical tableau of Eva in heaven 22 - fracture numérique

23- Giacometti, Femme de Venise, 1957

24-Van Gogh, La chaise de Vincent, 1889

25- Cindy Sherman, manequin

26- Valerie Delarue, Chambre d'argile

27- James Turell, Blue Room, Lacma LA, 2012

28- Glen Baxter, On The Old Giacometti Trail, 2014

29- Herbert Baglione, "Street art "(sans titre)

30- Hans Belmer, Série des "Poupées" (La forêt, 1932)

dimanche 27 janvier 2019

Exposition "Courant continu" au Moulin des Évêques

Article écrit pour mouvement.net


Vue de l’exposition, œuvres de Julius Rolf, Guilhem Roubichou et Cédric Torne. p. G. Monchaux



Cette exposition collective fissure les carcans temporels. Les œuvres contemporaines s’imprègnent de l’architecture médiévale du Moulin des Évêques à Agde, renouant avec les métiers de l’artisanat, mais actualisent aussi une certaine idée de la transcendance.