samedi 4 août 2018

Exposition "Où sont les hommes ?", Frac LR (Montpellier)

Commissariat "Carte blanche" donnée par Ami Barak, Directeur du Frac 
Exposition réalisée avec des œuvres appartenant au Fonds régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon

Galerie du Fonds régional d’art contemporain
4 rue Rambaud Montpellier
du 25 janvier au 12 mai 2001


Je connaissais bien le fonds du Frac LR et j'avais remarqué qu'Ami l'avait nourri, depuis son arrivée en 1993, d'œuvres signées par des femmes - ce qui était loin d'être banal, ou courant. Bien sûr, il n'était pas question pour lui de soutenir l'acquisition d'œuvres "de femmes" mais, simplement, d'œuvres qui lui semblaient dignes d'intérêt, inscrites dans des questions politiques et esthétiques contemporaines, tout autant que celles qui étaient créées par des hommes. Certaines d'entre-elles portaient un message féministe, mais pas toutes. Peu à peu, le fonds a ainsi été enrichi par des signatures du "genre féminin". Pour l'exposition, j'ai eu envie de pointer ces choix qui donnaient une certaine identité à la collection, plutôt originale, donc, à l'époque, sans tomber dans les clichés féminin/masculin, mais en jouant avec la dichotomie et le "trouble dans le genre"  (pour reprendre l'expression éponyme du fameux essai de Judith Butler). C'est pourquoi l'exposition présentait également quelques œuvres "d'hommes" qui, en particulier, pointaient, chacune à leur manière, ce "trouble" : Urs Lüthi, Noritoshi Hirakawa ; et aussi un vidéo du duo d'artistes "homme/femme" Vedova Mazzei. Entre expressions phobiques ou obsessionnelles, images de séduction du corps et signes d'emprise sociale, l'exposition souhaitait, en filigrane, sensibiliser le public à la notion de genre qui adhérait encore beaucoup à celle de la différence entre les sexes et ses conséquences sur le fait "d'être une femme" à l'aune du XXIe et, peut-être plus encore, "une artiste". Le titre de l'exposition était délibérément drôle, vintage, ambigu, puisqu'il se référait directement au tube de Patrick Juvet "Où sont les femmes ?", comme à la voix aigüe et au look androgyne du chanteur. Pour moi, tout cela était à la fois léger et sérieux, comme l'art. Ce fut un travail riche, intense, et - j'ose l'écrire - jouissif, une proposition qui me paraît avoir une certaine résonance aujourd'hui tant sur le plan politique, qu'esthétique. En fait, je crois que j'aimerais bien la refaire, pour voir.

L'exposition dura 3 mois et demi et fut réaccrochée 3 fois, dans le cadre de "travaux pratiques", avec mes étudiants de cinquième année d'histoire de l'art de l'Université Paul Valéry de Montpellier.
  


Cathy de Monchaux, Watching the madness through closed eyes, 1993 © Frac Occitanie




Communiqué de Presse

Sous ce titre un brin ironique se cache l’exposition d’œuvres de la collection du Frac Languedoc- Roussillon. Le choix de la commissaire, Chrystelle Desbordes, à laquelle Ami Barak, Directeur du Frac, a donné carte blanche provient, d’abord, d’un constat simple : le fonds est largement occupé par des artistes du “genre” féminin depuis qu’Ami Barak dirige l’institution (1993). Or si, clairement, ce dernier n’a pas choisi d’acquérir ces œuvres pour cette “raison” (ce qui, bien entendu, n’a en soi aucun sens, à moins que l’on considère qu’il y a un “art féminin”), il n’a pas plus ignoré le travail de ces artistes parce qu’elles étaient des femmes... Pour autant, les œuvres choisies ici sont, pour beaucoup, en lien avec des questions soulevées par les “Gender studies” car y sourdent les relations entre le sexe physiologique et le sexe social ( - lequel, chez les Américains, renvoie au terme de “gender”) ; ou, pour le dire autrement, l'on découvre des formes soulevant, de manière plus ou moins explicite, des questions politiques autour du genre : Sophie Calle, Marie Legros, Cathy De Monchaux, Jana Sterbak, Vedova Mazzei.

Non sans humour, et pour damer le pion à toute tentative de classification toujours trop systémique, catégorique et réductrice (clin d'œil à l'essai Penser/Classer de Georges Perec), deux œuvres produites par des hommes sont présentes dans l’accrochage. Le spectateur, à l’invite faite par le titre, peut dès lors se livrer à un jeu de piste... Il rencontrera une image d’Urs Lüthi en travesti et une photographie ambiguë de Noritoshi Hirakawa dans laquelle, a priori, on ne voit rien. Ces oeuvres, comme les autres, bousculent les lignes d’un pouvoir en place, d’une pensée unique et lisse qui cloisonne, d’une société coercitive dont le but, on le sait, est de servir les aspirations des classes dirigeantes. Aussi, bien au-delà du formatage et des apparences, les “campings” de Caroline Muheim, les peintures de Jeanne Dunning, le “banc” d’Ann-Veronica Janssens ou la photographie d’Annika Von Hausswolff invitent à repenser les catégories admises.
Les œuvres exposées et l’accrochage désirent rendre compte de ces positionnements et souligner au passage les intentions portées par Judith Butler dans le plus célèbre de ses ouvrages (Gender Trouble) : “Démontrer que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d'une certaine formation du pouvoir. ”

vendredi 25 mai 2018

"Robert Filliou draws an invisible map of the Eternal Network"

"Robert Filliou dessine une carte invisible du réseau éternel ".
C'est si surprenant et tellement beau.


samedi 12 mai 2018

Le projet "Semiography", 2013-2018

Présentation

Le projet Semiography est né en 2013. Il s'inscrit dans le fil de la collaboration initiée, dès 2011, entre l'artiste Christophe Bruno et l'historienne de l'art Chrystelle Desbordes (notamment avec le Projet artwar(e), présenté au Jeu de Paume, à la BnF, à la Gaîté Lyrique, etc. ). Semiography met en place de nouveaux outils d’analyse, de représentation et de visualisation des flux et interactions artistiques, issus de la théorie des réseaux, des médias sociaux et des big data. L’art et son histoire sont ici envisagés comme des réseaux sémiotiques aux échelles temporelles multiples.

The project was initiated in 2013 by the encounter between an art historian, Chrystelle Desbordes, working on art history in the age of the network and a network artist, Christophe Bruno, using art history as a medium for his art. Semiography deals with representations, archives and signs in relation with the idea that the advent of the network (and more precisely the transition from Web 2.0 to Web 3.0) entails a shift that turns art history into an art medium. 


Le concept

Que l’art soit le médium de l’histoire de l’art est une évidence. Inversement, depuis le XVIe. siècle, l’histoire de l’art a nourri le travail des artistes. Mais irait-on jusqu’à dire que l’histoire de l’art puisse devenir le médium même de  l’art ? C’est ici notre perception de l’histoire de l’art dans sa globalité, comme sa possible construction en temps réel à l’ère du Web 2.0, qui conduisent à imaginer l’histoire de l’art en tant que matériau privilégié de l’artiste.



 
Semiography Group, Alluvial Diagram/Caravage - L'incredulità di San Tommaso Diptych, 2013 

Semiography # 1 a donné lieu à plusieurs interventions : à l'école du Magasin de Grenoble et aux Beaux-Arts de Valence (2014), à la BnF ou aux Beaux-Arts de Paris (2015), aux Beaux-Arts de Sète (2016), etc. 

Semiography #2 a été Lauréat du programme de résidence "Hors les Murs" de l'Institut Français en 2016, qui s'est tenue en Californie. Dans ce contexte, il a notamment été présenté à l'Université de Stanford - CA (Digital Humanities Department.


Semiography # 2 : Résidence Villa Médicis Hors les murs, Californie

        «The convergence will not happen’ between the seemingly irreconcilable aesthetics of ‘Duchamp-land’ and ‘Turing-land »,             Lev Manovich


Semiography #2 focuses on the specific context of the hard-to-reconcile territories of “Turing-Land” and “Duchamp-Land”. We investigate the two-fold emergence that occurred in the 60-70’s: on the one hand, the emergence of Californian conceptual art (at the crossroads of Pop Art / Minimal Art / Land Art / Feminist Art / Performance Art, etc.), and, on the other hand, the rise of digital technologies whose pioneers settled in the Silicon Valley. To question contemporary art history, its symptoms, its writings and survivances (“nachleben”) and its possible futures, we will use and hijack digital tools from the big data era (producing maps, cycles, atlases, graphs…) and we will meet and interview artists, researchers, actors within the digital economy, between L.A. and San Francisco.The results of our research will be presented in various exhibitions and contexts. 

http://ifmapp.institutfrancais.com/residences#f2_9630-Christophe-Bruno-et-Chrystelle-Desbordes-Laureats-du-Programme-Hors-les-Murs-2016 

C. Desbordes, Mapping Semiography #2, 2017-2018 


Meetings & contacts (Winter 2016/2017 – Summer 2017)

* interviews

Ruth & Sebastian Ahnert, Researchers (Cambridge University / Workshop « FI:BRA », Stanford University, Palo Alto) ; Larry Bell, Artist * (Venice, LA) ; Devon Bella, Director of Kadist (SF) ; Alex Broekhof, Google Engineer (Mountain View, San Jose) ; Harold Budd, Musician (Pasadena, LA); Kathan Brown, Publisher (Crown Point Press Publisher, SF); Nicole Coleman, Professor (Digital Humanities & Literature Depmt, Stanford University, Palo Alto); Emory Douglas, Artist, ex Minister of Culture of Black Panthers * (San Francisco) ; Dan Edelstein, Professor (Digital Humanities & Literature Depmt, Stanford University, Palo Alto); Fred Eversley, Artist * (Venice, LA) ; Elise Fahet, Artist * (Eagle Rock, LA) ; Marc Fichou, Artist * (Silver Lake, LA) ; Rüdolf Frieling, Curator (SF MOMA) ; Hou Hanrou, Curator (San Francisco/Roma) ; Lynn Hershman Leeson, Artist * (SF) ;  Suzanne Husky, Artist (SF) ; Evelyne Jouanno, Curator (San Francisco) ; Izidora Lethe, Artist * (San Francisco) ; Henry Lowood, Curator (History of Science & Technology Collections, Stanford University Library, Palo Alto); Bradley Fidler, Reseacher * (UCLA Computer Science Depmt (Canada/ LA) ; Pierre Lefort, Independent Curator (Silver Lake, LA); Isabelle Le Normand Independent Curator (West Hollywood, LA) ; Peter Maravelis, Coordinator of Cultural Events, City Lights Bookstore (SF) ;  Tom Marioni, Artist * (SF) ; Lauren Marsolier, Artist * (SF) ; Gloria Maso, Artist * (Eagle Rock, LA) ; Stephan Mattessich Professor, Writer * (Venice, LA) ; Laure Murat, Researcher (French & Francophony- Gender Studies, UCLA – LA) ; Warren Neidich, Artist (Venice, LA) ; Stephane Ré, Attaché culturel (SF French Consulate); Rachel Rivenc, Art History Reseacher of Getty Center * (Art Contemporary Curating Depmt, Getty Center – LA) ; Anne-Sophie Simenel, Attachée culturel (LA French Consulate); Kim Stringfellow, Artist (Joshua Tree, CA); Claire Tabouret, Artist (Silver Lake, LA) ; Yan Tomaczezkci, Artist (Paris/ "Hors les Murs Residency", LA); Fred Turner, Professor * (Sociology & Digital Humanities, Stanford University, Palo Alto).


 


C. Desbordes, "Desk Padlet Semiography # 2", 2016-2017 (Recherches pour Semiography #2, Californie)



From Semiography to "Art History as a Landscape" (2016-2017)


C. Desbordes, Mapping Semiography in California, 2017-2018 











Los Angeles & Las Vegas Desert, Hiver 2016-2017





Workshop Semiography # 1 : École du Magasin / ESAD-Grenoble, Valence

Du 8 au 11 décembre 2014

Du réseau comme médium à l'histoire de l'art comme médium : représentations et archives en art à l’aune du Web 3.0.

Un projet de recherche artistique et curatorial de Christophe Bruno & Chrystelle Desbordes



Les travaux artistiques de l’un des deux auteurs du présent projet (CB) appréhendent le médium réseau comme réservoir de données brutes, de signaux non formatés, en en révélant certaines structures ou lois symboliques inédites. Il s’agit de détourner et de donner à voir ces flux d’information en tant que matière première visuelle ou textuelle. Les recherches du second auteur (CD) interrogent les outils épistémologiques de l’histoire de l’art, les pratiques curatoriales à l’ère du réseau, et la manière dont les artistes peuvent s’en emparer pour alimenter leur propre pratique.

La démultiplication des données à l’ère des réseaux et des big data permet d’envisager une nouvelle relation entre l’art et son écriture. Ces données sont aujourd’hui massivement accumulées en strates d’archives aux topologies complexes, véritables palimpsestes digitaux, nouveaux espaces d’investigation pour les humanités numériques et l’archéologie des média. Ces alluvions de signes qui se déposent au cours du temps ne cessent d’être réactivés et réactualisés, formant un réseau de temporalités et de narrations enchevêtrées.

Désormais, il ne s’agit plus seulement de s’intéresser à l’objet informationnel en soi, mais à l’ensemble des processus de production et d’interaction, des dispositifs d’affinage et autres registres sémiotiques qui participent de cette nouvelle écologie informationnelle. L’enjeu est ambitieux : d’une part définir de nouveaux modes de représentation pour l'histoire de l'art et son écriture, aussi bien sur les « temps longs » que sur les « temps courts » ; d’autre part, envisager comment l’histoire de l’art peut devenir le médium de l’art à l’ère du réseau. Dans ce contexte, l’art et son histoire se rencontrent dans un jeu de miroirs où les règles semblent redistribuées.


Ce sont les outils qui permettent de rendre sensible et visible cette forme de mutation qui seront travaillés dans le cadre du workshop. Cartographies, graphes, atlas et autres diagrammes topologiques questionneront les enjeux de l’art actuel, de ses représentations et de ses modes d’exposition.





Conférence, avec l'artiste Christophe Bruno, Workshop Semiography, Le Magasin/ ESAD de Valence, décembre 2014


vendredi 11 mai 2018

"Silicon Ideology", reportage en Californie

Reportage réalisé entre San Francisco et Los Angeles. Afin d'enquêter sur la place que prennent de nos jours les entreprises de la Silicon Valley dans ces deux villes, et de ses conséquences sur l'art et la culture, j'ai choisi de mener des interviews auprès de deux artistes d'origine et de culture différente (Emory Douglas, ex ministre de la culture des Black Panthers, SF ; Izidora Leber Lethe,  jeune artiste d'origine croate, SF), et de deux acteurs culturels, également venus d'horizons différents (Évelyne Jouanno, curator française, SF ; Stefan Mattessich, professeur de littérature à l'université de San Monica de LA). Quatre regards qui prennent la mesure des mutations en cours, voire de profonds bouleversements.

    Megan Wilson, Tax The Rich, mural, Clarion Alley Mural Project
San Francisco, 2013

"Tax The Rich is part of Wilson’s ongoing work in support of the need for a fundamental shift from free-market capitalism to a new way of being that’s rooted in compassion, generosity, and true equality for all beings." https://www.meganwilson.com/tax-the-rich



Article "Silicon Ideology"

Un an avant les grandes célébrations françaises de Mai 68, San Francisco fêtait le cinquantenaire du Summer of Love, symbole de la contre-culture hippie et du vent révolutionnaire des années 1970, aujourd’hui absorbés par les entreprises de la Sillicon Valley.

Comme beaucoup d’artistes et d’intellectuels, Stefan Mattessich a quitté San Francisco, où il est né en 1964, lors de la première « vague dot.com » pour venir s’installer à Venice Beach, Los Angeles. Ce romancier et professeur de littérature américaine au Santa Monica College ne croit plus aux lendemains qui chantent. « Dans les années 1990, j’ai compris que les valeurs de la contre-culture dans lesquelles j’avais grandi engendraient lentement de nouveaux comportements, typiques de l’ère digitale. Des jeunes gens enthousiastes montaient des start-up, tandis que moi je voyais cette “nouvelle économie” (on l’appelait alors comme ça), marquée par ses anomalies et ses contradictions, s’emparer du foyer de la Beat Generation et du free speech ! ». Aujourd’hui, et depuis maintenant cinq ans, le même phénomène de « colonisation » par les tech’ a commencé à Venice, en particulier avec Snapchat, et ses « milices » en station autour du headquarter (« siège social »). Les artistes, nombreux, qui n’avaient pas leur loyer protégé (rent control), ont dû quitter leurs lofts rapidement ou subir, en cas de refus, le poids d’un lourd procès. Bien que de tempérament calme, Stephan Mattessich ne cache pas sa révolte face à la situation. « Pour moi, c’est comme un destin terrible : là où je vais, les tech’ débarquent ! »

Comment la contre-culture, opposée à toute forme d’instrumentalisation et au fétichisme technique, a-t-elle conduit à ce « capitalisme high tech » qui balaye l’identité d’un territoire culturellement foisonnant, et désormais mythique ? « C’est une chose compliquée à comprendre, mais je crois qu’il y a des points communs entre ces deux tendances... plus d’individualisme, de narcissisme, d’hédonisme, estime l’intellectuel francophile. Sous l’effet de la répression étatique, à partir de 1968, l’idée d’accomplissement personnel est devenue une valeur politique et économique dans ce pays. Steve Jobs a émergé comme un “libertarien”, pratiquant le yoga et le bouddhisme. Il fut un parfait opérateur de ce changement ! On est passé d’un libertarisme de gauche à un libertarisme de droite. Et on a utilisé Allen Ginsberg [poète américain pionnier de la Beat Generation – Ndlr] pour vendre des ordinateurs ! » Les artistes, les classes populaires et moyennes désertent donc Venice. En un temps record, le quartier se vide de son état d’esprit et de sa population bigarrée pour se réduire à une vague idée, à une image branchée, et faire place nette aux boutiques luxueuses. « Nous sommes au cœur du “Nouvel Esprit du Capitalisme”. Ces tech’ qui s’installent à Venice ne parlent que d’argent et d’investissements, tout en se réappropriant la “Californian Ideology”. C’est comme ça que je vois cette histoire qui va de la contre-culture à Google. »