Commissariat "Carte blanche" donnée par Ami Barak, Directeur du Frac
Exposition réalisée avec des œuvres appartenant au Fonds régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon
Galerie du Fonds régional d’art contemporain
4 rue Rambaud Montpellier
du 25 janvier au 12 mai 2001
Je connaissais bien le fonds du Frac LR et j'avais remarqué qu'Ami l'avait nourri, depuis son arrivée en 1993, d'œuvres signées par des femmes - ce qui était loin d'être banal, ou courant. Bien sûr, il n'était pas question pour lui de soutenir l'acquisition d'œuvres "de femmes" mais, simplement, d'œuvres qui lui semblaient dignes d'intérêt, inscrites dans des questions politiques et esthétiques contemporaines, tout autant que celles qui étaient créées par des hommes. Certaines d'entre-elles portaient un message féministe, mais pas toutes. Peu à peu, le fonds a ainsi été enrichi par des signatures du "genre féminin". Pour l'exposition, j'ai eu envie de pointer ces choix qui donnaient une certaine identité à la collection, plutôt originale, donc, à l'époque, sans tomber dans les clichés féminin/masculin, mais en jouant avec la dichotomie et le "trouble dans le genre" (pour reprendre l'expression éponyme du fameux essai de Judith Butler). C'est pourquoi l'exposition présentait également quelques œuvres "d'hommes" qui, en particulier, pointaient, chacune à leur manière, ce "trouble" : Urs Lüthi, Noritoshi Hirakawa ; et aussi un vidéo du duo d'artistes "homme/femme" Vedova Mazzei. Entre expressions phobiques ou obsessionnelles, images de séduction du corps et signes d'emprise sociale, l'exposition souhaitait, en filigrane, sensibiliser le public à la notion de genre qui adhérait encore beaucoup à celle de la différence entre les sexes et ses conséquences sur le fait "d'être une femme" à l'aune du XXIe et, peut-être plus encore, "une artiste". Le titre de l'exposition était délibérément drôle, vintage, ambigu, puisqu'il se référait directement au tube de Patrick Juvet "Où sont les femmes ?", comme à la voix aigüe et au look androgyne du chanteur. Pour moi, tout cela était à la fois léger et sérieux, comme l'art. Ce fut un travail riche, intense, et - j'ose l'écrire - jouissif, une proposition qui me paraît avoir une certaine résonance aujourd'hui tant sur le plan politique, qu'esthétique. En fait, je crois que j'aimerais bien la refaire, pour voir.
L'exposition dura 3 mois et demi et fut réaccrochée 3 fois, dans le cadre de "travaux pratiques", avec mes étudiants de cinquième année d'histoire de l'art de l'Université Paul Valéry de Montpellier.
Cathy de Monchaux, Watching the madness through closed eyes, 1993 © Frac Occitanie
Communiqué de Presse
Sous ce titre un brin ironique se cache l’exposition d’œuvres de la collection du Frac Languedoc- Roussillon. Le choix de la commissaire, Chrystelle Desbordes, à laquelle Ami Barak, Directeur du Frac, a donné carte blanche provient, d’abord, d’un constat simple : le fonds est largement occupé par des artistes du “genre” féminin depuis qu’Ami Barak dirige l’institution (1993). Or si, clairement, ce dernier n’a pas choisi d’acquérir ces œuvres pour cette “raison” (ce qui, bien entendu, n’a en soi aucun sens, à moins que l’on considère qu’il y a un “art féminin”), il n’a pas plus ignoré le travail de ces artistes parce qu’elles étaient des femmes... Pour autant, les œuvres choisies ici sont, pour beaucoup, en lien avec des questions soulevées par les “Gender studies” car y sourdent les relations entre le sexe physiologique et le sexe social ( - lequel, chez les Américains, renvoie au terme de “gender”) ; ou, pour le dire autrement, l'on découvre des formes soulevant, de manière plus ou moins explicite, des questions politiques autour du genre : Sophie Calle, Marie Legros, Cathy De Monchaux, Jana Sterbak, Vedova Mazzei.
Non sans humour, et pour damer le pion à toute tentative de classification toujours trop systémique, catégorique et réductrice (clin d'œil à l'essai Penser/Classer de Georges Perec), deux œuvres produites par des hommes sont présentes dans l’accrochage. Le spectateur, à l’invite faite par le titre, peut dès lors se livrer à un jeu de piste... Il rencontrera une image d’Urs Lüthi en travesti et une photographie ambiguë de Noritoshi Hirakawa dans laquelle, a priori, on ne voit rien. Ces oeuvres, comme les autres, bousculent les lignes d’un pouvoir en place, d’une pensée unique et lisse qui cloisonne, d’une société coercitive dont le but, on le sait, est de servir les aspirations des classes dirigeantes. Aussi, bien au-delà du formatage et des apparences, les “campings” de Caroline Muheim, les peintures de Jeanne Dunning, le “banc” d’Ann-Veronica Janssens ou la photographie d’Annika Von Hausswolff invitent à repenser les catégories admises.
Les œuvres exposées et l’accrochage désirent rendre compte de ces positionnements et souligner au passage les intentions portées par Judith Butler dans le plus célèbre de ses ouvrages (Gender Trouble) : “Démontrer que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d'une certaine formation du pouvoir. ”